J’ai eu le grand plaisir d’interviewer Richard Jeffcoat, conseiller indépendant pour la circonscription de Tipton Green à Sandwell, en périphérie de Birmingham, au cœur du Black Country.
Richard Jeffcoat est le premier conseiller indépendant élu dans l’arrondissement. Installé à Tipton depuis 2017, il vit dans la région des Midlands de l’Ouest depuis 2003, principalement à Birmingham. Il s’est présenté à cinq élections locales à Tipton Green : une fois pour le Parti vert en 2019, puis comme indépendant lors des suivantes. Il a finalement été élu en mai 2024, avec 1 630 voix sur 3 233 votants.
Pouvez-vous me parler un peu de votre parcours politique avant de vous présenter à Sandwell ?
« J’étais auparavant très actif au Parti travailliste, en tant que secrétaire et coordinateur de campagne dans la circonscription de Birmingham Edgbaston. J’y vivais à l’époque et je m’y suis beaucoup impliqué après les élections de 2010, car je pensais que Cameron, faute de majorité, ne tiendrait pas longtemps. Évidemment, je me trompais complètement. Quatorze ans de chaos ont suivi.
La première élection municipale à laquelle j’ai participé fut celle de 2011, où nous avons réussi à faire élire un conseiller travailliste à Harborne, là où je vivais. À cette époque, nous faisions partie d’un grand mouvement. Nous avions environ 1 200 bénévoles pour préparer les enveloppes, distribuer les tracts, collecter des fonds… Nous avions le problème inverse de la plupart des partis aujourd’hui : trop d’activistes !
J’ai ensuite été très déçu par Jeremy Corbyn à propos de l’UE, car je suis un grand europhile. Je crois que l’Union européenne pourrait résoudre certains de nos pires travers : l’arrogance et l’isolationnisme. J’ai toujours été favorable à l’intégration européenne. Mais je voyais que sur le Brexit, Corbyn essayait de ménager la chèvre et le chou. Pour moi, il était essentiel que le Parti travailliste défende clairement l’intégration européenne, vu la dérive des conservateurs. Il en était incapable. C’est à ce moment-là que j’ai quitté le Parti travailliste pour de bon, après l’avoir déjà quitté plusieurs fois auparavant. »
Vous êtes très attaché à Tipton. Vous y êtes-vous senti chez vous dès le début ?
« Mon compagnon et moi avons décidé d’emménager ensemble après trois ans de relation. Nous ne pouvions pas nous permettre de vivre dans nos quartiers respectifs d’alors. Les prix à Tipton étaient abordables.
Au début, nous pensions que l’intégration serait difficile ici, en tant que couple homosexuel. Finalement, pas du tout. Nous avons des voisins formidables, aucun problème. Je suis d’ailleurs le premier élu ouvertement gay dans cette zone.
Nous avons été fascinés par le patrimoine local, les canaux, la nature à deux pas de la ville ; c’est totalement inattendu. Nous sommes tous deux passionnés par l’architecture industrielle, et tout cela rend Tipton vraiment captivant. Mais ce qui m’attache le plus à cet endroit, ce sont les habitants. »
Qu’est-ce qui vous a poussé à quitter les Verts et à vous présenter en indépendant ?
« Je me considère clairement comme de gauche, même très à gauche. Mais le Parti travailliste ne me ressemble plus du tout.
La première année où nous vivions ici, il n’y avait que deux candidats : un travailliste et un conservateur. Le travailliste obtenait environ 1 800 voix à chaque fois. C’était comme ça depuis toujours. Dans Tipton Green, le Parti travailliste gagne sans interruption depuis 1992.
Énervé contre le Labour, j’ai voulu tenter l’expérience avec les Verts. L’un de leurs points forts, c’est leur autonomie, même si c’est aussi une faiblesse. En 2018, j’ai contacté le représentant local, un homme seul à gérer la section. Il voulait présenter un candidat dans chaque circonscription, et il a réussi à en trouver 18 sur 24. Quatre d’entre eux ont terminé deuxièmes, dont moi.
Il m’avait dit : “Tu peux te présenter à Tipton Green, mais tu n’as aucune chance de gagner, ce sera symbolique.” J’ai répondu : “Pas question, je ferai une vraie campagne.” J’ai financé moi-même les tracts et je les ai distribués seul.
Résultat : la candidate travailliste a chuté à 1 405 voix (elle en attendait 2 000). Le conservateur a obtenu 400 et moi 563. C’était la première fois qu’un candidat vert se présentait ici et la première fois qu’un conservateur terminait troisième.
J’étais fier d’avoir battu les Tories, donc j’ai voulu recommencer.
Si j’ai quitté les Verts ensuite, c’est parce que j’étais ambitieux, je voulais continuer. Mais le coordinateur local voulait concentrer tous les efforts sur une seule circonscription: la sienne. Il a même suggéré de se présenter à Tipton Green à ma place, parce que j’y avais eu le meilleur score. J’ai refusé.
Ensuite, il y a eu les élections législatives, et j’ai fait beaucoup de militantisme pour le Labour, mais j’étais le seul militant local. En 2020, l’élection a été annulée à cause du Covid. En 2021, j’ai été persuadé de me présenter pour le Labour, on m’a promis un “siège sûr” et un poste dans le cabinet local. Évidemment, c’était faux.
Je n’ai pas pu me présenter dans ma propre circonscription car le siège était déjà réservé à quelqu’un d’autre. En réalité, je ne correspondais pas au profil idéologique qu’ils voulaient.
Alors j’ai décidé de me lancer seul, en indépendant. J’ai créé mon site web, fait du porte-à-porte, sans aucun soutien. Mon message était simple : “Ne votez pas selon les partis ; ils se moquent de Tipton.” Les candidats travaillistes et conservateurs n’habitaient même pas ici.
En 2021, j’ai obtenu 1 011 voix, contre 1 372 pour le Labour et 613 pour le Tory. C’était le meilleur score jamais réalisé par un indépendant à Sandwell. Puis en 2022, 2023 et 2024, mon score a augmenté à chaque fois. En 2024, j’ai battu le même adversaire travailliste avec 1 630 voix. »
Que faudrait-il faire pour que les habitants de Tipton vivent aussi longtemps que la moyenne anglaise ?
« Dans les comtés aisés du sud, on vit dix ans de plus qu’à Tipton. Pourquoi mes habitants devraient-ils vivre dix ans de moins ? Ces années perdues sont dues à la maladie, à la mauvaise alimentation, à l’addiction, mais aussi aux maladies industrielles. Les gens qui ont construit ce pays ont fait des sacrifices, et ils ont une dette à recouvrer.
Leurs petits-enfants vivent aujourd’hui dans la précarité, parfois atteints de BPCO ou de cancer du poumon. Le déclin des industries a créé un chômage héréditaire. Je demande donc un meilleur soutien du gouvernement travailliste, une vraie redistribution.
Le problème du logement est central. Beaucoup de propriétaires privés abusent de leurs locataires. Le système actuel protège mal les gens, et le “right to buy” de Thatcher a vidé les caisses des collectivités. Nous devons reconstruire un parc public solide pour devenir un bailleur responsable.
Tipton a été ignorée pendant trop longtemps. Ce n’est pas la faute des migrants sur des bateaux, mais celle des milliardaires. »
Comment les élus locaux peuvent-ils réagir à la droitisation du paysage politique ?
« Tipton a été abandonnée, et les habitants cherchent un bouc émissaire. Ce n’est pas le migrant le problème, ce sont les riches qui exploitent le système.
J’ai apprécié le discours de Starmer au congrès du Labour, quand il a attaqué le parti Reform UK. Il faut que les travaillistes et les conservateurs disent clairement que ces gens sont dangereux, racistes, fascistes. Mais dire simplement “votez pour nous parce qu’ils sont pires”, ça ne suffit pas. Il faut dire : “Votez pour nous parce qu’on va améliorer votre vie.”
À Tipton Green, nous avions trois conseillers d’origine asiatique. Dans une circonscription à 82 % blanche, cela a été mal perçu. Certains habitants refusent de parler à des élus non blancs, et ça, je ne le tolère pas. J’ai dit clairement que je ne voulais pas de votes racistes.
Mais le Labour part aussi du principe que tous les Asiatiques votent pour lui, et ça, c’est du racisme déguisé. Il faut plus d’authenticité, et que les responsables politiques dénoncent le racisme quand ils le voient. »
Depuis la victoire du Labour aux législatives, avez-vous constaté un changement localement ?
« La plupart des gens à qui je parle me disent qu’ils vont voter pour moi, ou pour Reform UK, ou qu’ils ne savent pas. Certains votent conservateur, mais aucun ne me dit voter Labour. Ils sont en colère contre Starmer et contre le parti.
Dans cette circonscription, Labour a toujours gagné depuis 1992, et pourtant aujourd’hui, il n’y a plus de confiance. Aux législatives de 2024, ils ont fait pire qu’en 2019, même en pleine “vague rouge”.
Les candidats parachutés de Londres, les élus déconnectés… Les habitants ont raison de penser qu’un représentant devrait vivre ici. Labour a perdu toute crédibilité locale, notamment à cause de procédures de désélection absurdes (“ils ont l’air trop populaires”, “ils parlent trop simplement”…).
Le parti travailliste pourrait corriger cela en croyant au localisme, mais il préfère tout centraliser. Et c’est ce qui le coupe de la classe ouvrière. »
Soutiendriez-vous un autre parti, comme celui de Corbyn ou les nouveaux Verts de Zack Polanski ?
« J’aime beaucoup Zack Polanski. Je l’ai rencontré lors d’une conférence des Verts et j’ai été impressionné. Il a une énergie très positive. Il veut aider les gens à se sentir mieux, ce qu’il faisait déjà avant comme hypnothérapeute.
Il est 100 fois plus charismatique que la plupart des dirigeants actuels. Le parti vert pourrait profiter de la chute du Labour et du chaos chez les Tories. Les gens ont besoin d’un nouvel espace politique à gauche.
J’apprécie aussi Zarah Sultana, sa clarté sur les questions de nationalisme me plaît. Corbyn, lui, reste cohérent et profondément antiraciste, même si certains de ses soutiens sont problématiques.
Ce que j’aime chez les Verts, c’est qu’ils sont accueillants envers les personnes trans. Le discours actuel qui les diabolise est honteux, et le fait que le Labour ait lâché cette communauté est une trahison. Polanski m’a dit : “Les gens doivent être libres d’être qui ils sont, et nous devons les soutenir politiquement.”
Trop de personnes LGB oublient que notre combat est lié à celui des personnes trans. Nous devons nous battre ensemble, car certains en meurent.»
Ce qui m’inquiète avec Corbyn, c’est qu’il s’entoure parfois de gens transphobes ou propriétaires immobiliers.
Et cette idée selon laquelle “il faut accepter que certains musulmans détestent les gays”, je ne peux pas m’y résoudre. Je n’ai aucun intérêt à rejoindre son parti.
Et la suite ?
Richard conclut en confirmant qu’il se présentera de nouveau aux élections locales de 2026 en tant qu’indépendant pour Tipton Green.
« En tant qu’indépendant, je suis plus libre. Les tracts des partis sont relus et formatés à Londres, déconnectés de la réalité ici. L’inconvénient, c’est que je dois tout financer moi-même, mais au moins, personne ne tire mes ficelles. Dans les zones urbaines, les indépendants sont rares, mais je crois que Tipton montre que c’est possible. »


