En Irlande, la Saint-Patrick a a été célébrée par une manifestation dans les rues pour exprimer leur désaccord face à l’invitation de leurs dirigeants à la Maison Blanche.
Ces manifestations ont provoqué une réaction de la part des dirigeants irlandais, les contraignant à aborder la question de Gaza lors de leurs entretiens avec la presse ainsi qu’avec le président américain, Joe Biden. « Shamrock for Palestine » des trèfles pour la Palestine.
Irlande ponctuée par des manifesttions et changements politiques
Samedi 16 mars a été marqué par de nombreuses manifestations coordonnées sur toute l’île d’Irlande appelant au boycott de la Saint-Patrick à la Maison-Blanche. À Belfast seulement, les chiffres enregistrés par le parti PBP (le peuple avant le Profit) ont rassemblé entre 8 000 et 10 000 personnes. La marche s’intitulait « Shamrock for Palestine », ce qui se traduit par« des trèfles pour la Palestine ».
Ce nom fait directement référence au rituel qui a lieu lors de la cérémonie de la Saint-Patrick à la Maison-Blanche et qui consiste à offrir un bouquet de trèfles au président américain. Le mot d’ordre était donc d’offrir ce bouquet à la Palestine, en reconnaissance de l’engagement très prononcé du peuple irlandais envers cette cause. Les cortèges, animés par les différents groupes d’activistes politiques et de soutien à la Palestine comme le PBP ou l’IPSC (Ireland Palestine Support Campaign – Campagne de soutien de l’Irlande à la Palestine) ont marché jusqu’à l’ambassade américaine.
À cet endroit, plusieurs orateurs ont pris la parole devant un trèfle aux couleurs du drapeau palestinien, afin d’exprimer leur désapprobation envers leurs dirigeants. Dans le cas de Belfast, mais aussi plus largement de l’Irlande tout entière, la principale cible était les représentants du Sinn Féin.
Rappelons que le gouvernement nord-irlandais est formé d’une coalition des deux partis
représentant les communautés majoritaires dans le pays. Cette structure implique la présence de deux Premiers ministres, dont l’un détient une place plus importante en raison du nombre de sièges qu’il occupe à l’assemblée. C’est donc Michelle O’Neil, représentante du parti du Sinn Féin en Irlande du Nord qui occupe cette place.
Elle était accompagnée par la dirigeante de ce même parti en République d’Irlande, Mary Lou Macdonald. Le Sinn Féin, dont l’héritage s’est construit sur la résistance à l’impérialisme britannique et dans de nombreux appels à soutenir la Palestine, était donc la cible principale de ces appels au Boycott.
Cette manifestation du 16 mars étant un moment de solidarité avec le peuple palestinien, elle ne devait en aucun cas devenir un moment de récupération politique. Néanmoins, le Sinn Féin a réussi à s’insérer dans l’évènement grâce à des contacts au sein de la branche de Belfast du IPSC, prenant ainsi la parole devant l’ambassade américaine.
Cette apparition fut grandement critiquée, car elle soulevait le paradoxe de leur positionnement, « Ils dînent avec le diable et se tiennent avec les anges dans la même journée », décrit l’historien Fearghal Mac Bhloscaidh à l’université de Belfast Queen’s.
Plus tôt dans la journée, les membres du PBP avaient reçu la consigne de ne pas huer l’oratrice du Sinn Féin, Clíodhna Nic Bhranair. Cependant, malgré le respect de cette règle de la part de PBP, d’autres manifestants non affiliés à un groupe politique ont eux-mêmes commencé à huer l’oratrice. Des témoins présents sur les lieux ont rapporté qu’elle a quitté la scène prématurément et en larmes.
Le choix de la désigner pour représenter le parti a été vivement critiqué, étant une jeune députée inexpérimentée sur la scène publique, élue il y a seulement un an. Sa présence entourée de politiciens du parti, bien plus expérimentés, qui auraient pu prendre la parole à sa place, ont accentué les critiques alors qu’ils ont choisi de rester en retrait, laissant Clíodhna Nic Bhranair subir la colère de la foule.
Suite à cet incident, le Sinn Féin a tenté de rejeter la responsabilité sur le PBP pour les cris et les sifflements hostiles.
Irlande : « Si vous souhaitez mettre fin à l’impérialisme, la Maison-Blanche est alors le dernier endroit où vous devez être le jour de la Saint-Patrick » - Fearghal Mac Bhloscaidh, historien de l’Université de Belfast Queen’s
En parallèle de ces évènements qui se déroulaient dans différentes villes d’Irlande, les dirigeants de l’île ont poursuivi la cérémonie de la Saint-Patrick à la Maison-Blanche. Des manifestations se sont déroulées également à Washington dans le but de porter la voix des Irlandais jusque devant les portes de la Maison-Blanche.
Les représentants des différents partis ont été informés de ce mécontentement, les contraignant ainsi à inclure des références à Gaza et à la situation en Palestine. Les Irlandais ont été surpris de constater que la mention la plus éloquente de la situation à Gaza est à attribuer au Premier ministre irlandais, le Taoiseach, Léo Varadkar, qui, jusqu’alors, n’avait pas tenu à se positionner plus ardemment en faveur de la cause palestinienne.
Dans un discours qui rappelait les racines irlandaises, évoquant leurs luttes contre l’impérialisme britannique, en faisant un parallèle significatif avec la lutte palestinienne, expliquant ainsi leur solidarité à cette cause, le Taoiseach s’est adressé directement au président américain.
Certains ont donc pu lire un inconfort sur le visage du dirigeant américain alors que Léo Varadkar appelait à un cessez-le-feu immédiat et à la reconnaissance de deux états vivant côte à côte en paix.
Du côté des représentantes du Sinn Féin, les interventions étaient plus brèves et moins incisives : Michelle O’Neil, la Première ministre d’Irlande du Nord a principalement souligné l’importance d’« ouvrir l’Irlande du Nord au marché de l’investissement » tout en ajoutant qu’un partenariat constructif et de même envergure étaient essentiels au Moyen-Orient.
En revanche, Mary Lou Macdonald, dirigeante du Sinn Féin, a pris le temps de déplorer la catastrophe humanitaire qui se déroulait en Palestine, rappelant que les Irlandais connaissaient très bien cette souffrance. À ce titre, une nouvelle manifestation est prévue le samedi 23 mars en soutien à la Palestine, et une nouvelle fois à l’échelle nationale.
Des raisons personnelles et politiques, la démission de Léo Varadkar
Ce discours de paix émouvant à la Maison-Blanche que le Taoiseach a tenu à son homologue américain fut bien l’un de ses derniers. Peu de temps après son retour, jeudi 21 mars à midi, le Premier ministre irlandais annonce sa démission. Léo Varadkar, représentant du parti de Fine Gaël, annonce son départ après sept ans à la tête de la République d’Irlande.
Sur les réseaux sociaux, beaucoup ont vu dans ce départ un possible lien entre sa démission et son discours qu’il a tenu à la Maison-Blanche, mais les faits ne sont pas du tout liés. Nous pouvons éventuellement voir, rétrospectivement, qu’il a pu prendre davantage de liberté dans ses propos en sachant son départ imminent.
Néanmoins, cette démission survient surtout face à une Irlande aux prises avec des problèmes sociétaux croissants, aggravés par les politiques du parti au pouvoir qui ont renforcé les inégalités sociales. Nous suivrons la suite des évènements en rapport à sa démission et reviendrons sur sa carrière en tant que premier ministre Irlandais.
Auteur / autrice
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Sarina Abousido est anthropologue de formation, spécialisée sur la politique d'Irlande du Nord, du Brexit, sur les interactions entre la République d'Irlande, l'Irlande du Nord et le Royaume Uni. D'origine palestinienne, elle étudie également les échos de la cause palestinienne dans l'identité politique irlandaise.
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