Le Moyen-Orient a franchi une ligne rouge. En juin 2025, les frappes israéliennes sur le site souterrain d’enrichissement d’Iran à Fordow a rapidement fait réagir les États-Unis.
Donald Trump a menacé d’entrer en guerre aux côtés d’Israël et a promis un soutien militaire “actif” dans les deux semaines à venir. Il n’a pas tardé à passer de la menace aux actes : des bombes américaines ont frappé Fordow, ce qui a déclenché une guerre éclair de 12 jours.
Un cessez-le-feu, arraché sous médiation qatarie et la supervision directe de Trump, a permis de stopper l’escalade mais la paix reste compromise. Téhéran prévient : “Si Israël arrête, nous arrêtons.” Quant à Trump, il balaie d’un revers de main toute négociation en déclarant à CBS : “Ils ne savent pas ce qu’ils font. Je les enverrais tous en enfer.”
Derrière ces déclarations choc, une question obsède experts et stratèges : la dissuasion nucléaire fonctionne-t-elle encore, ou n’est-elle qu’un pari insensé entretenu par la peur ?
« La dissuasion est comme une religion. Il n’y a aucune preuve. »
Dan Smith, président honoraire de l’International Crisis Group et directeur du SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute), a déclaré à Le Parisien Matin que le principe même de la dissuasion nucléaire était dangereusement obsolète :
« Je pense que l’idée selon laquelle la dissuasion nucléaire conduit à la paix est complètement fausse. Elle mène à la peur, l’anxiété et à une catastrophe potentielle. »
Il qualifie la dissuasion de « système fondé sur la foi »
« La dissuasion, c’est comme une religion. Il n’y a aucune preuve. Il n’y a que la croyance. »
Smith avertit également que la rapidité des nouvelles technologies augmente le risque de mauvaise interprétation.
« Plus les nouvelles technologies accélèrent la prise de décision en temps de crise, plus il y a un risque de guerre due à une mauvaise communication, un malentendu ou même un accident technique. »
Smith n’exclut pas un recours à l’arme nucléaire pour Israël en cas de menace existentielle, mais prévient que cela n’apporterait rien.
« Je suis presque sûr qu’Israël utiliserait des armes nucléaires en cas de menace existentielle grave. Mais cela ne changerait rien. »
« La dissuasion américaine se vide de sa substance. »
Le Dr Bruce Bennett, analyste principal à la RAND Corporation, a insisté lors de notre entretien sur la perte de connaissances nucléaires aux États-Unis :
« Beaucoup de responsables américains ne comprennent pas les armes nucléaires. Ils n’ont pas été formés. Nous n’avons pas fait ce genre de formation depuis 30 ans. »
Ce déficit n’est pas qu’académique. Il met en danger la stabilité mondiale. Bennett a ajouté :
« Dans une guerre nucléaire limitée, l’absence de moyens américains proportionnés aux objectifs en jeu… remet en cause la crédibilité de la dissuasion américaine. »
Pour y remédier, il a commencé à enseigner des cours basés sur des simulations de guerre nucléaire :
« La semaine dernière, j’ai commencé à enseigner un cours sur la guerre nucléaire limitée à la RAND Graduate School… pour aider nos étudiants à comprendre les différents usages des armes nucléaires. »
« Un accident à Rotterdam pourrait faire s’effondrer l’Europe.»
L’ancienne coordinatrice d’ICAN, Susi Snyder, a averti Le Parisien Matin que les menaces nucléaires ne sont pas toujours délibérées :
« S’il y avait une bombe nucléaire qui explosait accidentellement dans le port de Rotterdam, par exemple, cela dévasterait l’économie européenne pendant une décennie. »
L’attitude désinvolte à leur égard contribue à son inquiétude
« Les dirigeants d’aujourd’hui pensent aux armes nucléaires en termes de minutes… pas de responsabilité à long terme. » explique-t-elle.
« Ce que nous avons, c’est un tableau d’idiotie brillante. »
Le physicien turc de renom et expert en politique nucléaire, le professeur Tolga Yarman, a proposé une métaphore lucide sur l’état de la dissuasion :
« Ce système est comme une chaîne faite d’une infinité de maillons… mais quand vous alignez ces maillons, vous obtenez un énorme zéro. C’est un tableau d’idiotie brillante. »
Il critique aussi l’idée que la mobilité des ogives nucléaires garantisse la sécurité :
« Si un camp lançait une frappe pour anéantir l’autre… l’autre camp, pour survivre et riposter, doit garder ses ogives nucléaires mobiles. »
Yarman nous rappelle même que le projet « Star Wars » de Reagan relevait davantage de l’illusion théâtrale que d’une réelle sécurité :
« Reagan a dit en 1984 : ‘Assez ! Nous développons le système Star Wars’… des lasers seraient déployés dans l’espace… pour détruire immédiatement les missiles soviétiques au lancement… »