La notion de luxe alimentaire a beaucoup évolué. Des produits qui étaient luxueux et réservés aux plus riches il y a encore peu de temps sont désormais accessibles à davantage de personnes. Comment cela s’est-il produit ? Que consomment, alors, les plus riches ? Quels sont les nouveaux luxes alimentaires ?
Champagne, foie gras ou truffes font partie des aliments festifs, luxueux, plutôt onéreux et parfois même rares. Inscrits dans l’imaginaire de la fête, dotés d’une haute valeur symbolique, ils sont associés à une cuisine raffinée et à une occasion spéciale comme Noël ou un anniversaire.
Le luxe alimentaire est un luxe éphémère, vecteur d’émotions, généralement accessible et comportant une dimension de partage : un grand vin se dégustera en général à plusieurs tandis que l’achat d’une montre ou d’un sac de marque sera un acte plus individualiste.
Le luxe alimentaire : un concept qui a évolué a travers le temps
Une autre spécificité du luxe alimentaire est l’évolution des produits considérés comme luxueux au cours du temps, de l’espace et des catégories sociales. Son concept est donc empreint à la fois de relativité mais aussi de subjectivité, comme l’explique Vincent Marcilhac dans son ouvrage Le luxe alimentaire. Ainsi le sucre, aujourd’hui aliment des plus banals, était au Moyen-Age en Europe un produit rare et cher, uniquement consommé par les plus fortunés. Aux États-Unis, le homard, lui, il y a environ 150 ans, était un produit bon marché, dont se nourrissaient les plus démunis. C’est le développement du chemin de fer qui lui a permis de devenir un produit de luxe très recherché.
Le luxe alimentaire est un secteur d’activité qui se porte très bien en France. Capital dans un article du 1er décembre 2022 chiffrait les revenus de la gastronomie de l’année précédente à 49 milliards d’euros et ceux des vins et spiritueux à 77 milliards d’euros. Le marché de l’épicerie fine, estimé à 9 milliards d’euros à la fin de 2023 est lui aussi, très dynamique avec environ 5300 boutiques spécialisées recensées sur le territoire et des perspectives de croissance pour les années à venir.
Démocratisation rime avec industrialisation
Cependant, depuis quelques années, on assiste à une véritable démocratisation des aliments de luxe, grâce notamment au processus d’industrialisation et à la diversification des circuits de distribution des dits produits.
Le processus d’industrialisation a permis de produire en grande quantité des aliments autrefois luxueux, leur permettant d’être accessibles au plus grand nombre, accélérant ainsi leur banalisation. C’est par exemple ce qu’il s’est produit il y a quelques années pour le foie gras. Grâce à la mécanisation, le rythme de production s’est accéléré permettant l’augmentation des volumes faisant ainsi baisser les coûts de production et de vente et élargissant la clientèle.
Les circuits de distribution des produits alimentaires de luxe ont aussi été bouleversés au cours des dernières décennies. En effet, des produits, telles les truffes ou le caviar, qui ne se vendaient qu’en épiceries fines, ont petit à petit gagné les étals des magasins de grande distribution comme Carrefour voire même de hard discount comme Lidl, mais aussi la vente par correspondance et en ligne. Cela leur a permis de toucher un public plus large avec des prix attractifs (grâce aux marques industrielles ou de distributeurs pour l’entrée de gamme) et contribuant ainsi à leur démocratisation. D’ailleurs, aujourd’hui, les champagnes, foie gras ou saumon fumé, produits emblématiques du luxe alimentaire, sont principalement distribués dans les grandes surfaces.
Un autre exemple est le caviar. Il est un des derniers vrais produits de luxe consommés essentiellement durant les fêtes de fin d’année. Jusqu’à peu réservé à une minorité de français, il connait un taux de croissance de 90 % depuis la fin de la pandémie. D’ailleurs, la France est devenue, grâce à l’aquaculture de l’esturgeon de Sibérie, le troisième producteur mondial. L’enjeu pour les années à venir est bien sa démocratisation, sa distribution passant, là encore des épiceries fines aux grandes surfaces alimentaires.
La différenciation existe toujours
Mais cela signifie-t-il que le luxe alimentaire n’existe plus ? Est-ce que pour les plus riches ces produits sont remplacés par d’autres ? La réponse n’est pas aussi catégorique. En effet, même si les produits cités précédemment se sont démocratisés, il existe toujours une distinction qui se fait principalement par la rareté et par le prix.
Si nous reprenons le caviar, on peut trouver toute une gamme de produits qui va du caviar baeri à 1600 euros le kilo, jusqu’au caviar almas, le plus rare au monde car issu d’esturgeons albinos beluga, vendu jusqu’à plus de 30 000 euros le kilo. La truffe blanche d’Alba est vendue dix fois plus chef que la noire du Périgord, soit jusqu’à environ 6000 euros le kilo. En ce qui concerne le champagne, on trouve des prix d’appel à 15 euros en grande surface, mais tout le monde ne pourra pas s’offrir une bouteille de Dom Pérignon à plus de 10 000 euros.
Ensuite, une autre manifestation du luxe alimentaire est de déguster un produit de terroir de grande qualité sur son lieu de production. La notion « d’authenticité » qui se dégage alors de ce produit « localisé » donne encore plus de crédit à son positionnement. Ainsi, boire un très grand cru de bourgogne face aux vignes qui l’ont produit suite à une visite de la propriété en compagnie du producteur qui a raconté son histoire se transformera en un moment exceptionnel, unique, fait d’émotions et de sensations. On peut alors parler de luxe émotionnel.
Ainsi, suite à l’élévation du niveau de vie des classes moyennes ces dernières décennies, le luxe s’est incontestablement démocratisé. Cependant, pour une frange de la population, l’alimentation de luxe conservera toujours un caractère exceptionnel, onéreux voire émotionnel.