Hier, Emmanuel Macron a prononcé un discours très intéressant : pour la première fois, un président en exercice s’est adressé aux francs-maçons, membres de la Grande Loge de France.
Cette prise de parole, à quelques mois des 120 ans de la loi fondatrice de la laïcité française, visait à réaffirmer l’importance de cette législation dans un contexte politique et idéologique particulièrement tendu.
Devant une assemblée attentive réunie au siège parisien de cette obédience maçonnique, le chef de l’État a formulé un appel direct aux « frères » : il leur a demandé de s’engager activement pour préserver et transmettre les fondements de la loi du 9 décembre 1905, qui consacre la séparation entre institutions religieuses et institutions publiques.
Emmanuel Macron pense qu’il est aujourd’hui nécessaire que toutes les forces républicaines s’unissent pour contrer ce qu’il a désigné comme une dérive : l’interprétation de la laïcité comme un outil de mise à l’écart des convictions religieuses.
Une loi souvent mal comprise, parfois dévoyée
Dans ses propos, le président a insisté sur une lecture rigoureuse mais fidèle à l’esprit d’origine de la loi de 1905. Il a rappelé que ce texte n’avait jamais été conçu pour stigmatiser les croyants, ni pour interdire les croyances religieuses dans l’espace public. Au contraire, il garantit à chaque individu le droit de croire ou de ne pas croire, tout en assurant que les services de l’État ne privilégient ni ne financent aucun culte.
« Je vous demande d’être les ambassadeurs de cette loi, de dire et redire que ce n’est pas une loi d’exclusion, mais une loi d’émancipation », dit-il. La laïcité ne peut être assimilée à un rejet des religions. Elle repose sur une logique de neutralité : l’État ne prend pas parti, il ne s’implique pas dans les affaires spirituelles, et en retour, il garantit à chacun la liberté de conscience.
Macron dénonce ce qu’il nomme une « lecture identitaire » de la laïcité, qu’il considère dangereuse. Pour lui, vouloir instrumentaliser la laïcité dans le but de viser certaines confessions — en particulier l’islam — constitue une trahison de l’équilibre républicain. Il a exprimé ses inquiétudes face aux tentatives de remodeler la loi dans un sens répressif, au prétexte de défendre la République, mais en réalité dans le but de nourrir des réflexes de rejet ou d’exclusion.
Des surenchères…
Des figures de la droite républicaine proposent d’étendre les interdictions religieuses bien au-delà de ce que prévoient actuellement les lois. Le sénateur Bruno Retailleau, candidat à la présidence du parti Les Républicains, a suggéré que les femmes qui accompagnent les sorties scolaires ou les athlètes dans les compétitions sportives ne puissent porter de signes religieux visibles.
La défense des libertés publiques serait peut-être mise à mal par ces suggestions qui trahissent l’esprit de la laïcité en la transformant en outil de contrainte plutôt qu’en principe d’équilibre.
Une prise de parole auprès des francs-maçons qui permet de renouer leurs liens avec le président
Emmanuel Macron a choisi de s’adresser aux francs-maçons, en particulier à ceux de la Grande Loge de France, qui représente la deuxième obédience maçonnique du pays avec 32 000 membres. Ce n’est pas anodin.
Lors de sa campagne présidentielle de 2017, nombre d’entre eux avaient été séduits par son discours. Il se présentait alors comme un candidat hors des clivages, qui promettait de redonner toute leur place aux corps intermédiaires et aux territoires, dans une logique de décentralisation chère aux maçons.
Certains voyaient même en lui un possible initié, à tort, interprétant à l’excès son langage ou des symboles comme la Pyramide du Louvre le soir de son investiture.
Des relations autrefois chaleureuses, puis distendues
Dans les premiers mois de son mandat, plusieurs figures proches des milieux maçonniques avaient intégré le gouvernement, parmi lesquelles Gérard Collomb ou Jean-Yves Le Drian. Mais très vite, la relation s’est refroidie. En 2018, un discours prononcé par le président au Collège des Bernardins, dans lequel il exprimait sa volonté de « réparer » le lien entre l’État et l’Église catholique, avait suscité l’indignation des francs-maçons les plus attachés à la laïcité stricte.
Ce jour-là, nombreux furent ceux à estimer que le président flirtait dangereusement avec des références religieuses inappropriées dans sa fonction.
La même année, le projet d’aménagement de la loi de 1905 — abandonné depuis — avait ravivé les tensions. Le monde maçonnique, dans sa diversité, avait fait savoir son opposition à toute tentative de réécriture d’un texte aussi symbolique.
Un rapprochement progressif, après la crise des « gilets jaunes »
C’est la crise sociale de l’hiver 2018-2019, qui a vu la mobilisation des « gilets jaunes », qui a permis un réchauffement des relations entre le président et les francs-maçons.
Confronté à une remise en cause de son style de gouvernance, Emmanuel Macron a alors renoué avec les structures représentatives, les associations, les syndicats et, dans ce cadre, les obédiences maçonniques.
Gérard Collomb avait alors retrouvé un certain dialogue avec l’Élysée avant sa mort. Les francs-maçons, de leur côté, ont vu dans cette main tendue une occasion de faire entendre à nouveau leur voix, surtout sur les questions de solidarité, de justice sociale, mais aussi de laïcité. Ils ont lancé une pétition pour faire entrer les deux premiers articles de la loi de 1905 dans la Constitution, afin de mieux les protéger des interprétations ou modifications futures.
Actuellement, la Constitution française se contente de proclamer, dans son article premier, que la France est une République « indivisible, laïque, démocratique et sociale », sans en détailler les implications juridiques.