La langue française a la réputation d’être complexe, voire cruelle. Mais soyons honnêtes : une bonne partie des fautes que l’on voit tous les jours ne viennent pas d’un point de grammaire oublié en 5e, ni d’un accent disparu dans une règle obscure. Elles viennent de phrases que l’on croit justes depuis toujours, de formules piégées et d’habitudes tenaces.
Cet article n’est pas un manuel scolaire : c’est un antidote à la gêne de relire un e-mail pro ou un message important en découvrant qu’on a écrit « je me suis permise » alors qu’on s’appelle Thomas.
« Je me suis permise de vous écrire… » (écrit par un homme)
Ce qu’il faut savoir
Le participe passé s’accorde avec le sujet quand il est employé avec l’auxiliaire être, sauf que certains verbes pronominaux comme « se permettre » posent problème. En réalité, dans « je me suis permis de… », le participe s’accorde avec le complément d’objet direct s’il est placé avant. Ici, « se » représente la personne qui s’est permis… mais le verbe se permettre est suivi d’un infinitif, donc pas de COD.
Ce qu’il faut écrire
- « Je me suis permis de vous écrire » (si vous êtes un homme)
- « Je me suis permise de vous écrire » (si vous êtes une femme)
À retenir : On accorde avec le genre de la personne qui parle… mais seulement si c’est elle qui parle d’elle-même. Pas de COD → pas d’accord automatique.
« J’ai été à la réunion » vs « Je suis allé à la réunion »
Le piège
Beaucoup utilisent « j’ai été » comme un passe-partout. Pourtant, « être » et « aller » ne sont pas interchangeables.
La différence
- « J’ai été » signifie qu’on a été dans un état ou qu’on a fait l’expérience d’être quelque part.
- « Je suis allé » indique un déplacement.
Ce qu’il faut écrire
- « Je suis allé à la réunion » → correct si vous vous y êtes rendu.
- « J’ai été malade » → correct si vous parlez de votre état de santé.
Astuce : Si vous pouvez remplacer par « je me suis déplacé », utilisez « je suis allé ».
« Malgré que je sois fatigué… »
Aïe.
Même dans les couloirs des institutions les plus sérieuses, on entend parfois cette construction.
Pourquoi c’est faux
« Malgré que » n’existe pas. Le mot malgré est une préposition, pas une conjonction. Il ne peut pas être suivi d’une proposition conjuguée.
Ce qu’on peut dire à la place
- « Bien que je sois fatigué »
- « Même si je suis fatigué »
- « Malgré ma fatigue »
À bannir : « Malgré que », c’est comme écrire « entre que ». Inutile d’insister : ça ne passe pas.
« Au jour d’aujourd’hui »
Non. Simplement non.
Pourquoi c’est gênant
« Aujourd’hui » signifie déjà au jour de ce jour. Dire « au jour d’aujourd’hui » revient à dire : au jour du jour d’aujourd’hui. C’est redondant, pesant, et souvent perçu comme une tentative un peu maladroite de se donner un ton solennel.
Préférez
- « Aujourd’hui »
- « Actuellement »
- « En ce moment »
À éviter dans un contexte pro : cela donne une impression de maladresse ou de langage parlé qui veut faire trop sérieux.
« Ça a été décidé » au lieu de « Cela a été décidé »
Ce qu’on entend souvent : « Ça », dans tous les sens, y compris dans les contextes les plus formels. Mais à l’écrit, surtout dans un mail professionnel ou un article, « cela » est préférable.
Pourquoi
« Ça », c’est l’oral, c’est l’automatique. « Cela » est plus précis, plus fluide à la lecture, et tout simplement plus adapté à un registre soutenu.
Ce qu’on peut faire
- À l’oral : « Ça a été décidé » (ça passe).
- À l’écrit : « Cela a été décidé » (mieux).
- Ou encore mieux : évitez le passif → « Nous avons décidé » ou « La direction a tranché ».
Conseil bonus : Quand on peut reformuler activement, on évite les tournures passives molles et impersonnelles.
« Un espèce de… » (dit par tout le monde)
L’erreur répandue
« Espèce » est un mot féminin, même quand il est suivi d’un mot masculin.
On dit :
- « Une espèce de bruit »
- « Une espèce de mec »
- « Une espèce de scandale »
Même si le mot suivant est masculin, on garde bien le féminin.
« Si j’aurais su… »
Classique, mais faux.
Pourquoi ?
Après si, on n’emploie jamais le conditionnel dans ce type de phrase hypothétique. Le conditionnel viendra plus tard, dans la deuxième partie de la phrase.
Ce qu’il faut écrire
- « Si j’avais su, je ne serais pas venu. »
- « Si tu m’avais prévenu, j’aurais pris mes précautions. »
Formule à mémoriser :
« Si + plus-que-parfait, conditionnel passé »
« Je vous joins les documents que vous m’avez demandés » (avec une pièce jointe)
Où est le piège ?
Avec le verbe joindre, conjugué avec avoir, on accorde le participe passé avec le COD si celui-ci est placé avant.
Ici : « les documents » est placé avant → on accorde.
Donc on écrit :
- « Je vous les ai joints. »
- « Vous trouverez les documents joints à ce message. »
Mais attention :
- « Veuillez trouver ci-joint les documents » → ici, « ci-joint » est invariable, car utilisé comme un adverbe.
« Ils se sont parlé » (et non « parléS »)
Pourquoi ce n’est pas « parlés » ?
Parce que le verbe « parler » ne se construit pas avec un COD, mais avec un COI (ils se sont parlé à eux-mêmes). Et avec un COI, il n’y a jamais d’accord du participe passé.
D’autres exemples :
- « Ils se sont téléphoné »
- « Elles se sont écrit »
Mais
- « Ils se sont vus » → là, il y a un COD → on accorde.
« Elle s’est lavée les mains »
Accord ou pas ?
Non. Pas avec « les mains ».
Explication
Le verbe « se laver » est réfléchi, mais le complément d’objet direct est « les mains », placé après le verbe. On n’accorde donc pas le participe passé.
On écrit :
- « Elle s’est lavé les mains. »
Mais
- « Elle s’est lavée. » → ici, pas de complément → on accorde.
Le français n’est pas une langue figée ni une épreuve à passer à chaque e-mail. Mais comprendre les rouages de ces fautes fréquentes, c’est déjà se donner le pouvoir d’écrire avec plus d’aisance et moins d’hésitations. Pas besoin d’être académicien. Juste un peu curieux, et un peu allergique aux erreurs qui piquent les yeux.