L’évolution de la position de Donald Trump en faveur de la Russie, en pleine guerre contre l’Ukraine, se heurte à la posture du gouvernement de Giorgia Meloni, qui n’a cessé d’exprimer un soutien constant à Kyiv ainsi qu’un attachement sans faille à Washington.
Lorsque Trump accéda au pouvoir, Meloni avait cherché à se rapprocher de son administration, espérant incarner un lien entre les États-Unis et l’Europe à un moment où la France et l’Allemagne traversaient des périodes politiques difficiles.
Ce réalignement opéré par Trump avait d’ailleurs permis à la France de reprendre un rôle central sur la scène européenne, tandis que l’Allemagne sortait de sa phase électorale, avec Friedrich Merz – pressenti pour devenir chancelier – appelant à une autonomie accrue de la défense européenne vis-à-vis des États-Unis.
Aujourd’hui, la position de Meloni perd de sa force sur le plan européen, dominé par la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, mais également sur la scène nationale, où les orientations de la politique américaine alimentent des dissensions au sein même de la coalition au pouvoir.
Fratelli d’Italia, le parti de la cheffe du gouvernement, reste aligné sur les positions pro-européennes et pro-ukrainiennes, tout comme Forza Italia.
En revanche, la Lega de Matteo Salvini défend des idées proches de celles de Trump, adopte une ligne ouvertement prorusse et rejette toute forme de réarmement européen. Une rupture avec la Lega ferait perdre à la coalition sa majorité absolue au Parlement, mettant en péril la stabilité du gouvernement.
Une rhétorique antifrançaise persistante
De son côté, Meloni oppose régulièrement une fin de non-recevoir aux propositions de défense européenne portées par la France seule. Cette posture permet à l’Italie d’éviter d’admettre l’affaiblissement de l’OTAN et renoue avec une rhétorique antifrançaise, familière aux nationalistes italiens. Salvini a récemment qualifié le président Emmanuel Macron de « fou » et l’a accusé de vouloir entraîner l’Europe vers une guerre nucléaire.
Pourtant, Macron n’a commis aucun geste hostile notable envers Rome. Depuis la première réunion d’urgence informelle organisée à Paris à la suite du changement de cap de Trump sur l’Ukraine — réunion à laquelle participaient le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, le Danemark, les Pays-Bas, l’Espagne et la Pologne —, le gouvernement italien est systématiquement impliqué. Par ailleurs, le rapprochement entre Macron et le Premier ministre britannique Keir Starmer atténue les critiques, Rome entretenant traditionnellement de bonnes relations avec Londres.
Le gouvernement Meloni, comme l’opposition, a présenté des pistes complexes, voire irréalistes, concernant le conflit en Ukraine. Parmi elles, la proposition d’une mission de maintien de la paix de l’ONU après un éventuel cessez-le-feu. Néanmoins, tous les partis réaffirment leur attachement à l’OTAN. Un sondage publié à la mi-février — deux semaines avant que Trump ne rabroue le président ukrainien Volodymyr Zelensky lors d’une visite à la Maison Blanche — révélait que 69 % des Italiens étaient favorables à la création d’une armée européenne commune.
Le débat nucléaire s’invite en Italie
En parallèle, un débat émerge sur la question de la dissuasion nucléaire. Jusqu’ici taboue, cette thématique revient dans les discussions publiques, alors que les armes nucléaires américaines sont présentes sur le sol italien dans le cadre d’accords bilatéraux.
Tandis que l’Allemagne et la Pologne envisagent un élargissement du « parapluie nucléaire » français, les médias et responsables italiens s’intéressent de plus en plus à cette option. Cette évolution traduit un certain malaise vis-à-vis de la fiabilité des États-Unis, notamment quant au respect de l’article 5 du traité de l’OTAN, qui prévoit qu’une attaque contre un membre est considérée comme une attaque contre tous.
Les liens industriels avec l’Europe renforcent l’ancrage de l’Italie
Les signaux envoyés par l’industrie italienne sont également significatifs. Il y a encore peu, le gouvernement envisageait d’utiliser les services de télécommunications militaires du réseau satellitaire Starlink, conçu par Elon Musk. Désormais, ce projet semble écarté. Les incertitudes liées à l’engagement de Musk, notamment ses atermoiements sur l’accès de Starlink à Kyiv, ainsi que la suspension temporaire de l’aide américaine à l’Ukraine, ont soulevé des interrogations sur la fiabilité des partenaires.
En conséquence, la société française Eutelsat, propriétaire de la constellation OneWeb, suscite un regain d’intérêt, plusieurs pays européens l’envisageant comme alternative à Starlink. Dans ce contexte, la société italienne Leonardo a récemment annoncé son intention de lancer une constellation de 18 satellites de télécommunications à usage militaire.
Cette évolution reflète aussi la place stratégique de l’Italie dans les secteurs de l’aérospatiale et de la défense. Leonardo et Fincantieri, deux grandes entreprises publiques, travaillent bien au-delà du seul marché italien.
Dans le cadre d’une dynamique européenne, Leonardo a signé en 2024 un accord avec l’allemand Rheinmetall pour la production conjointe de chars d’assaut, et vient d’annoncer un partenariat avec la société turque Baykar pour la fabrication de drones. Elle détient également, avec la société française Thales, des participations dans Telespazio et Thales Alenia Space, et est actuellement en discussions avec Airbus en vue de créer un pôle européen de production de satellites.
Dans le domaine des missiles, la participation de Leonardo à la coentreprise européenne MBDA a permis à l’Italie et à la France de développer ensemble le système antimissile SAMP/T, une étape qui pourrait ouvrir la voie à un réseau de défense plus intégré à l’échelle du continent. En matière navale, Fincantieri envisage un rapprochement avec Thyssen Krupp Marine Systems, tandis qu’en aéronautique, l’Italie participe au Global Air Combat Programme, aux côtés du Royaume-Uni et du Japon, pour concevoir la prochaine génération d’avions de chasse.
Tous ces projets témoignent du profond ancrage industriel de l’Italie dans les coopérations européennes et sur les marchés internationaux.
Ancrée en Europe malgré les tensions
Sur le plan industriel comme politique, l’Italie reste résolument engagée dans le camp européen. La bonne entente affichée entre Rome et Washington ne signifie en rien que Meloni envisage un éloignement du projet européen.
D’autant que le pays subit régulièrement des cyberattaques imputées à des groupes russes, ce qui alimente une perception constante de menace. Si la Première ministre s’efforce de souligner ses divergences avec Paris et Londres lors des derniers sommets consacrés à la sécurité européenne, l’Italie, bien que prudente sur l’envoi de troupes dans le cadre d’une éventuelle mission de maintien de la paix en Ukraine, ne peut se permettre de se désengager des futurs dispositifs collectifs de défense du continent.
